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Le Donjon de Naheulbeuk : L'Amulette du Désordre


J’ai un affect tout particulier pour le Donjon de Naheulbeuk. Je suis d’une génération qui n’a pas grandi avec l’omniprésence d’internet, je fais partie de ceux qui peuvent se souvenir de leur toute première recherche Google, et la mienne était : « Donjon de Naheulbeuk ».

Retour vers le passé

Nous sommes en 2001, première année du IIIème millénaire. Internet commence tout juste à se démocratiser, les connexions sont encore très lentes, les sites de partages de vidéos et autres réseaux sociaux ne sont encore que de la science fiction, et les téléphones portables ne sont que de gros talkies-walkies très chers.

Pourtant, en cette année symbolique, un événement va démontrer à tous que ça y est : le IIIème millénaire est là, et rien ne sera plus comme avant. En effet, en mars de cette année, quelque part au fin fond du net, un fichier audio fait son apparition. Une voix criarde nous interpelle : « Salut ! Tu viens pour l’aventure ? ».

Mais faisons un petit bond dans le futur, pour nous rendre en 2005. World of Warcraft (sur lequel j’aurais un temps de jeu se comptant en mois, mais c’est une autre histoire) vient tout juste de sortir en Europe, et vingt épisodes du Donjon sont désormais en ligne. On commence à trouver des vidéos sur internet, et les sites YouTube et Dailymotion viennent tout juste de voir le jour.

Moi, je suis en 6ème, et je n’ai jamais été sur internet (une situation que les plus jeunes ne peuvent qu’imaginer). Dans la cour du collège, l’ambiance est très différente de celle de l’école primaire. Ici, tout le monde parle du Donjon de Naheulbeuk.

_ Mais qu’est ce que c’est que ce Donjon de Naheulbeuk ?

_ On le trouve sur internet.

_ Comment ça marche internet ?

Comme beaucoup d’autres enfants de cette époque, internet est pour moi une chose lointaine, voire complètement inconnue. Le Donjon de Naheulbeuk s’échange donc dans la cour sur des CDs gravés, et c’est comme cela que je mets la main sur un CD contenant les 20 premiers épisodes, dans le désordre.

Comme tout le monde, je tombe instantanément sous le charme, et j’écoute mon CD en boucle. Mais très vite, je me rends compte que ce n’est pas pratique : comment accéder aux prochains épisodes quand ils sortiront ? Et en plus, il parait qu’il existe des bonus et des chansons ! Il n’y a qu’une solution : se mettre à internet. Me voilà donc devant le Windows 2000 familiale, à faire ma toute première recherche Google de ma vie : « Donjon de Naheulbeuk ».

Ensuite, tout s'enchaîne très vite : les sites de jeux flash font rentrer le jeu vidéo dans mon foyer (mes parents n’ayant jamais voulu nous acheter autre chose que des jeux éducatifs), et les premiers sites pirates d’animés japonais arrivent. Les français découvrent enfin la fin de DBZ, jamais diffusée à la TV ! Et moi, je découvre internet durant son âge d’or, l’époque où la liberté est totale et où la propriété (intellectuelle au moins) semble archaïque, bonne pour les poubelles de l’histoire. C’était avant que le capitalisme ne vienne mettre de l’ordre en transformant tout cela en la dystopie cyberpunk que nous connaissons aujourd’hui.

Bref, j’ai un affect tout particulier pour le Donjon de Naheulbeuk.

Et maintenant ?

En septembre 2020 sort le jeu Donjon de Naheulbeuk : l’Amulette du Désordre. Que vaut ce jeu ? Est-il digne de son héritage ?

Le jeu prend la forme d’un tactical RPG dans lequel vous incarnerez l’équipe classique de la Saga (le ranger, le barbare, le nain, le voleur, la magicienne, l’elfe et l’ogre) plus un personnage original au choix : une prêtresse snobe, un ménestrel zozotant, et une paladine de la justice et des barbecues (c’est avec cette dernière que j’ai joué ma partie).

Comme tout tactical, le cœur du jeu réside dans les combats en tour par tour. Le jeu fait des efforts pour ressembler à une partie de jeu de rôle sur table, avec attaques d’opportunité, attaques de dos, soutiens et jets de sauvegarde. Cette partie combat est vraiment agréable à jouer : couverts, lignes de visées et pourcentages de réussites apparaissent clairement. Les situations sont toujours très lisibles grâce à une bonne ergonomie générale. Niveau stratégie, en plus de la gestion des placements, des couverts et des lignes de visées, on trouve un certain nombre de compétences proposant des synergies intéressantes. Beaucoup de compétences permettent de déplacer ou bien de bloquer les ennemis. On peut par exemple pousser un ennemi pour qu’il traverse des cases contrôlées par les alliés, afin qu’il déclenche leurs attaques d’opportunité. L’ogre peut jeter le nain, compensant la faible vitesse de ce dernier, le voleur peut augmenter les effets de bombes, l’ogre ceux des consommables, etc... On regrettera juste que la difficulté s’effondre en milieu de jeu, créant un « ventre mou » assez ennuyant.

La partie exploration est plus anecdotique, notamment à cause d’une ergonomie que je qualifierais de curieuse. L’équipe se déplace en vue du dessus en cliquant sur l’endroit où l’on veut se rendre, ce qui est classique. Mais la caméra n’est pas manipulable à la souris : pour la tourner il faut utiliser les touches A et E du clavier, ce qui est beaucoup moins pratique que le classique « clic droit+glisser » qu’on retrouve dans tous les jeux du genre ! Je dois avouer ne pas comprendre ce choix…

Mais bon, quand on joue à un jeu Donjon de Naheulbeuk, on pense surtout à l’humour et à l’écriture. Et là le constat est sans appel : l’esprit Naheulbeuk est bien au rendez-vous, non seulement dans les dialogues, mais également dans la description des objets et des techniques, et dans les situations. Je pense notamment au Grand Index de la bibliothèque, dont l’idée est à la fois si simple et si géniale, mais on peut également citer la langue de bois très startup nation que le ranger sort dès qu’il est gêné, ou encore l’histoire des grèves chez les nains. Paradoxalement, les blagues qui marchent le moins sont celles directement issues de la saga originelle. L’énervement du nain qui a pourtant dit « chaussette » en premier n’a pas de sens si le barbare ne gagne pas un niveau pile à ce moment-là...

Il faut également souligner un point négatif : les doubleurs-youtubeurs. Deux youtubers font des voix dans le jeu : Bob Lennon et Benzaie. Si le premier s’en sort bien, le second fait vraiment tâche. Sur certains personnages, non seulement il change de voix entre deux répliques, mais même parfois au sein d’une même réplique un peu longue ! C’est simple, tous les dialogues avec Benzaie m’ont fait lever les yeux au ciel, et j’ai tué ses personnages chaque fois que j’en avais la possibilité, simplement pour ne plus les entendre.

Conclusion

Alors au final, faut-il jouer à l’Amulette du Désordre ? Si vous êtes fan du Donjon de Naheulbeuk, la réponse est claire : oui, absolument. On est face à un tactical RPG très solide dans ces mécaniques et adaptant parfaitement l’humour Naheulbeuk, malgré quelques défauts. Si vous ne connaissez pas le Donjon, mais que vous êtes friand de tactical RPG, alors ce jeu peut être une porte d’entrée sympathique dans cet univers.

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